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Orientafriko

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  • Production et échange d'analyses politiques, de carnets de voyages et d'informations pratiques concernant la Corne de l'Afrique - Djibouti, Somaliland, Puntland, Somalie, Kenya et autres - pour les chercheurs, les curieux et les voyageurs.
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12 mars 2012

Dimanche 11 mars - Entretien avec le directeur général du ministère du plan et du développement

Grande agitation en ville ce matin alors que je monte sur la terrasse prendre le frais. Je reste pétrifié de surprise pendant quelques secondes devant le spectacle offert par les deux bulldozers qui s'activent à raser les avancées et autres préaux de fortune de la plupart des magasins du quartiers. Les réceptionnistes m'expliquent que la municipalité s'est décidée à détruire toutes les structures illégales en ville, une sorte de grand nettoyage avant le printemps. Et à en juger par les tas de gravats et d'objets variés qui s'accumulent partout où peut porter mon regard, il semblerait qu'il n'y ait finalement pas grand chose qui fut légal dans ce coin-ci de la ville. La foule rassemblée pour le spectacle est impressionnante et mêmes les deux grands engins de chantier peinent à se frayer un chemin parmi les badauds qui se déplacent de chantier en chantier. Les camions-bennes se suivent sur la route principale, bientôt relayées par des muletiers qui se chargent de toutes les petites pièces. Je remarque d'ailleurs que la plupart des petits « bureaux de change » sont parmi les gravats qu'on évacue. De mon perchoir, je regarde avec un pincement au cœur un des deux Caterpillar s'attaquer à mon restaurant préféré. Un peu bouleversé par le spectacle, je retourne dans ma chambre après avoir pris quelques photos malgré la désapprobation de mes hôtes.

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C'est que j'ai un entretien avec le numéro 2 du ministère du plan et du développement à préparer moi ! J'affine le brouillon de la veille, revêts une chemise d'un grand tailleur britannique et loge mes petons dans des souliers cirés histoire de marquer le coup et en sachant très bien que j'arriverai là-bas en sueur et avec les souliers aussi poussiéreux que la route elle-même. Mon effort vestimentaire ne m'évites pas une attente de 2h à l'accueil, attente que je meuble tant bien que mal en commençant l'ébauche d'un audit sur la création d'un centre culturel francophone à Hargeisa et en faisant la conversation avec mon voisin. Celui-ci, venu au ministère pour candidater à une annonce parue dans le journal, me raconte son histoire, sa jeunesse au Somaliland alors encore rattaché à la Somalie, le refuge qu'il a trouvé en Afrique du Sud pendant la guerre civile et comment il est revenu au pays pour y retrouver la sécurité qu'il n'avait pas là-bas. En effet, agressé plusieurs fois par des gangs locaux qui lui réclamaient de l'argent en échange de sa vie et déçu de l'inactivité de la police sud-africaine, l'intéressé est revenu au pays ; d'autant plus facilement qu'il dispose de la double nationalité. Voilà encore là un sujet intéressant à traiter, la double nationalité chez les Somalilandais, son utilité et son usage. Il me raconte également que le gouvernement est le seul à proposer des emplois accessibles à tous ceux qui sont suffisamment qualifiés pour y accéder tandis que le secteur privé est très fortement marqué par le clientélisme. Lorsque je lui demande s'il s'agit là d'une manifestation du clanisme, il me répond qu'il s'agit plutôt d'intérêts et de proximités familiales, au sens plus restreint du terme, et quelques fois d'arrangement politiques.

J'adopte une stratégie différente pour l'entretien avec le représentant de l'Etat, jouant le naïf limite inculte sur son sujet dans les premières questions jusqu'à terminer par une petite volée de questions très précise et, semble-t-il, parfois un peu dérangeante ; ce qui n'est pas pour me déplaire et prouve que j'ai mis le doigt sur quelques points sensibles. Je pense qu'il me faudra pas mal de temps pour décortiquer en détail les réponses qui m'ont été fournies.

Sur le chemin du retour, puisque le ministère est situé exactement à l'opposé de la vile par rapport à mon hôtel, j'ai le plaisir de me voir proposer un petit tour en 4x4 par une des personnes que j'ai croisé au ministère et qui s'avère être un membre de la commission pour la gestion de l'eau implantée à Boroma. La perception que l'on a de la ville depuis le siège en cuir d'un land cruiser est totalement différente et on se croirai presque dans un de ces films où l'on vous montre par la fenêtre la misère que s'étale sous vos yeux. La où je vois une population qui parle fort et qui s'active lorsque je marche dans les rues, je vois désormais avant tout une ville désorganisée et presque sans activité tandis que les regards que l'on me portent changent de même ; le contraste est saisissant.

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Avant de rentrer me remettre au travail, je passe prendre des nouvelles de mon petit restaurant et de son patron qui, après avoir été un peu méfiant envers moi au début de mon séjour ici m'accueille désormais très chaleureusement. Je découvre avec étonnement que les bulldozers n'ont pas terminé leur œuvre, laissant la moitié de l'établissement affaissé tandis que l'activité continue dans l'autre partie, presque comme si de rien n'était. Je prends un thé pour papoter un peu avec lui et j'apprends que, semble-t-il, les ouvriers se sont trompés en attaquant le bâtiment. Pas de fatalisme, pas de colère dans ses yeux, l'activité continue avec les clients qui s'installent.

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11 mars 2012

Samedi 10 mars - Un petit pas pour l'humanité, un grand pas pour moi 

Aujourd'hui, je décide de ne pas mettre de réveil et de tenter la mise en place d'un nouveau rythme de vie basé sur les appels des muezzins. J'envisage donc le réveil pour 5h15 afin d'être prêt pour mon premier « vrai » entretien à 9 heures avec le directeur du Comprehensive Community-Based Rehabilitation in Somaliland, une des plus importantes et réputées des organisations de la société civile locale. Faux ! Je me réveille péniblement à 7h, comme les autres jours. Première frustration. La seconde suit de près puisque ce matin il n'y aura pas de petit-déjeuner à l'hôtel. Après quelques minutes seulement en dehors du lit, je suis déjà en retard et la faim me titille. Je termine de préparer ma grille d'entretien dans la précipitation et, après coup, je me rends compte que c'est encore comme ça que je travaille le mieux. Je chausse mes sandales, dégaine mon Snickers d'urgence (vu le prix du Snickers ici, il vaut mieux ne pas en abuser) et fonce vers mon lieu de rendez-vous situé pile à l'autre bout de la ville.
J'arrive à peu près dans les temps et suis accueilli par le directeur en personne. Après quelques salutations cordiales et une photocopie de ma carte d'identité pour s'assurer de qui il a en face de lui, Abib se plie volontiers au jeu de l'entretien. Dictaphone installé, bouteille d'eau a portée, stylo en main, tout est prêt. Je décide de lui laisser une grande liberté sur chacun des trois grands thèmes que je lui propose afin de pouvoir plus aisément resserrer la focale au fur et à mesure de la discussion. Je me réserve même quelques questions un peu plus impertinentes sur les points noirs de la société somalilandaise pour la toute fin de l'entretien. Ces dernières reçoivent un accueil intéressant, Abib quittant la formulation régulière et précise de son discours pour « me parler franchement, très franchement » et saluer les « très bonnes questions» que je lui soumets. 1 heure 14 minutes et 49 secondes plus tard, je considère ma tâche accomplie. Je salue mon hôte et l'on convient de la possibilité de faire circuler un questionnaire parmi les 120 employés et bénévoles du CCBRS afin que je puisse produire quelques données quantitatives à côté des entretiens.

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En reprenant la route pour le centre-ville, je m'arrête successivement au bureau d'Handicap International, qui est fermé, au bureau du Consortium of the Somaliland Non-Gouvernemental Organisation, où je décroche un rendez-vous avec le directeur pour lundi matin et enfin au ministère du Plan et du Développement où l'on s'étonne beaucoup de me voir. Après avoir répondu à quelques questions sur mes intentions, attendu un petit quart d'heure et avoir prouvé que je suis bien étudiant, c'est le directeur général en personne, c'est à dire la personne placée hiérarchiquement juste sous le ministre, qui vient réitérer l'interrogatoire. Il me propose un rendez-vous pour demain en fin de matinée que j'accepte avec moult remerciements en tant que personne bien élevée. L'enjeu de la rencontre est potentiellement énorme à l'heure où le budget de l’État est en hausse et que le pays vient de lancer son premier plan quinquennal de développement.
De retour à l'hôtel et une petite sieste plus tard, la journée se continue avec quelques recherches bibliographiques, quelques nouveaux mails et l'ébauche du questionnaire pour les membres des organisations locales. Il me reste encore à trouver un moyen de faire traduire les questions pour m'assurer de la qualité des réponses, mais ça, ça sera pour un autre jour. Je termine la journée en rattrapant le retard que j'ai pris dans l'écriture de mes petits billets quotidiens tout en écoutant un peu de bon son avec, entre autres et du plus groovy au plus cosi, Major League House, Parov Stellar, Beirut et Devandra Banhart.
Une petite journée pour l'humanité mais un grand pas pour moi donc !

10 mars 2012

Vendredi 9 mars - Journée d'abondance pour fêter une semaine au Somaliland

Commençant à voir le fond de ma bourse je profite de la relative fraîcheur de la matinée pour aller en ville pour aller faire du change. Je fais tout de même un rapide calcul des frais incompréhésibles qu'il me reste à régler : taxi jusqu'à l'aéroport, taxe de sortie du pays (et oui, ici on paye son visa, une taxe d'entrée et une taxe de sortie, il faut bien faire rentrer du dollars dans les caisses quand on imprime une monnaie qui n'est reconnue par personne), visa pour Djibouti (50 euros, que vous restiez deux jours ou un mois), taxi à nouveau, hôtel puis taxi une dernière fois avant de quitter l'Afrique, soit un total de 200 billets verts. Doux jésus, il me reste 150 dollars pour 22 jours, on est large !

Il existe un concept intéressant au Somaliland, l'absence complète de banque. Ce détail est compensé par un nombre incalculable de sociétés et d'agents privés assurant le transfert d'argent depuis et vers la plupart des pays du monde. La France qui n'était pas encore desservie il y a quelques temps devrait maintenant pouvoir utiliser le réseau de Western Union. Pour ce qui est du change comme dans tous les pays où l’État est un peu faibles, ce qui me rappelle d'ailleurs des souvenirs de Budapest où c'est la mafia vous accueille à la sortie du train, le réflexe est d'éviter les agents de change officiels au profit des courtiers locaux. Au Somaliland, c'est même une question de survie puisque l’État vous offre 3600 shillings pour 1 dollars alors que les nombreux changeurs d'Hargeisa vous en offrent 6000 ; du simple au double. Un second concept intéressant est celui du bureau de change à ciel ouvert et en pleine rue. Outre les innombrables « petits » changeurs disposés tous les 25 mètres sur les trottoirs des rues principales et qui vous attendent assis sur une chaise en plastique disposée à l'ombre et derrière un petit casier métallique ajouré où ils gardent leurs liasses, vous pouvez également trouver des « professionnels » du change qui apportent leur marchandise le matin à l'aide de brouettes et s'érigent de véritables murets de billets à même le sol. En général, ces « gros » changeurs se regroupent par petits groupes dans les rues perpendiculaires aux rues principales, la où le passage est tout de même un peu moins dense. A vue de nez tant les piles de billets sont impressionnantes, je pense que chacun d'eux doit disposer d'environ 5000 dollars, voir plus. Je ne sais pas s'il existe un système de protection privé pour ces stands mais, s'il y en a un, il est particulièrement discret. Je n’aperçois pas non plus de policiers ou de militaires dans les environs. Pour un pays qui est encore perçu comme instable sur la scène internationale, la scène est tout bonnement irréelle. Pour les somalilandais, il n'y a plus rien de plus normal.

Je tends donc un billet de 50 dollars américain, qui reste la monnaie la plus courante et la plus appréciée ici même si on me dit que l'euro est de plus en plus accepté par les changeurs des rues. On me demande quelle monnaie je souhaite recevoir : franc djiboutien, shilling somalilandais, shilling somalien, birr éthiopien ou encore riyal saoudien. La curiosité me pousse presque à dire : « Un peu de tout » mais je demande finalement une liasse de 120 billets de 5000 shillings somalilandais que mon intermédiaire compte à une vitesse incroyable avant de l'entourer d'un élastique.

Fort de mon pécule, je files fêter l'abondance monétaire en allant m'offrir un bon plat de viande accompagnée...de pâtes, oui bon, pour ça, même avec beaucoup de sous je crois qu'on ne peut pas y couper. Ici, il est possible de manger de la viande à partir de 9 heures environ alors que les derniers morceaux seront vendus aux alentours de 12h30. Plus tard, il faut compter sur la chance ou se contenter de viande hachée, en général un mélange (beaucoup) trop cuit de mouton et de mauvais morceaux de chameau. C'est définitif, le fast-food n'a aucun avenir en Somalie puisque ma pièce de chameau rôti et son accompagnement arrivent chauds en moins d'une minute. Et point positif, le chameau, c'est bon ! Pour celles et ceux qui n'auraient pas encore eu l'occasion de goûter, ça ressemble beaucoup à la viande que l'on utilise dans le pot-au-feu par contre, petit conseil non numéroté car hors-catégorie, je ne vous recommande vraiment pas la sauce « chilly willy ». Principalement composée de vinaigre blanc, elle vous anesthésie la langue, le goût et le plaisir de manger ; heureusement que je ne l'ai goûtée que sur la fin du repas. L'addition s'élève à 15 000 shillings, soit 2 dollars et 50 cents, ce qui est très raisonnable pour de la bonne viande, même en Somalie.

Pour conclure cette journée de plaisirs gustatifs et d'abondance financière, je m'offre un petit coca dans la cafétéria située juste à côté de mon hôtel. La tenancière est particulièrement agréable et, même si les prix sont légèrement plus élevés qu'ailleurs en ville, l'établissement est propre et l'atmosphère y est plus conviviale. Petite spécificité locale, il existe quatre tailles de Coca-Cola ici. Outre les grandes bouteilles de 2L et de 1L5 et la petite de 50cL que l'on connaît en France, l'usine Coca-Cola récemment ouverte aux abords de la ville produit également des bouteilles de 30cL reconnaissables à leur bouchon jaune alors que les bouteilles importées arborent le traditionnel bouchon rouge. Ce n'est plus un secret, même si je me suis renseigné avant de divulguer l'information, cette usine a pu voir le jour notamment grâce au soutien de l'Agence Française de Développement ; je trouve l'information du soutien français à l'expansion commerciale américaine en Afrique de l'est assez cocasse pour ma part.

Je remarque cependant que, contrairement à Djibouti où l'on boit beaucoup de sodas, les somalilandais semblent de loin préférer l'eau du « robinet » et, à l'heure du repas, des sortes de granités passés au mixer et aromatisés...auxquels j'aimerais beaucoup pouvoir goûter si mon statut d'occidental prompt à attraper toutes les bactéries des alentours ne me déconseillait fortement de boire le breuvage.

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9 mars 2012

Jeudi 8 mars - Un peu de culture : Hargeisa

Voilà trois jours, ce qui me semble en fait être une éternité, que je délaisse les pérégrinations dans la ville et les rencontres inopinées au profit de recherches et de réflexions pour préparer, enfin, des rencontres sociologiquement pertinentes pour ma recherche. Ah, le sujet de cette recherche ? La société civile du Somaliland comme troisième force motrice du pays aux côtés de la politique partisane et des liens claniques. Ce repli sur mon ordinateur et sur la langue française produit sur moi un effet bizarre, une distanciation grandissante qui me donne un sentiment d'extranéité qu’étonnamment je n'avais pas encore vraiment ressenti. Je profite donc de ma sortie repas quotidienne pour papoter un peu avec mes voisins de table et, par chance pour la qualité de la discussion, je tombe sur un somalilandais qui multiplie les allez-retour entre Londres, où il vit, et Hargeisa, où le reste de sa famille réside. En plus de la discussion, je profite donc de ma rencontre avec un bilingue pour collecter quelques mots supplémentaires en somali, certains utiles comme Waa imisa ou « combien ça coûte », d'autres nettement moins comme malqasad ou « cuillère à café ». Puisque le couverts sont déjà dans mon assiette aujourd'hui, je me décide à remanger avec une fourchette. Et bien croyez le ou non, la nourriture ne me semble pas avoir le même goût ! Comme quoi, la pensée et les habitudes culturelles ne vous lâchent pas si rapidement, même à l'autre bout du monde. Je me divertis pendant le repas en observant les trois chatons « adoptés » par le restaurant se chamailler au milieu des nombreuses paires de jambes qui vont et qui viennent, n'hésitant pas a shooter sans ménagement dans une de ces boules de poils qui aurait eu le malheur de traîner au milieu du chemin jusqu'à les renvoyer à l'abri sous les chaises en plastique et les tables pliantes. De temps en temps, l'un d'eux parvient à récupérer une carcasse, un os ou un peu de riz tombé d'une assiette. Le spectacle est assez répétitif mais toujours plus agréable que la match de catch américain commenté en arabe qui passe à la télé. Bon, aujourd'hui, et sans doute ce par quoi j'aurais du commencé pour planter le décor, je vous propose une petite présentation un peu plus académique de la ville d'Hargeisa avant de reprendre mes promenades dès demain pour me rendre à mes interviews. Pour résumer, Hargeisa c'est une ville une fois ressuscitée et trois fois capitale. Capitale du Somaliland britannique en 1941 en remplacement de Berbera désormais dévolue à des activités maritimes et militaires stratégiques, puis capitale de l’État du Somaliland pendant les quelques jours d'indépendance du pays en 1960 avant son rattachement par référendum avec l'ancienne colonie de Somalia italienne et enfin capitale depuis 1991 de l’État autoproclamé du Somaliland qui l'a littéralement ressuscité après sa destruction quasi complète par les bombardements d'artillerie et d'aviation menés par le gouvernement de Mogadiscio durant la guerre civile. On peut encore voir ici et là des impacts de balles dans ce qu'il reste du deuxième étage d'une maison ancienne ainsi que les traces de chenilles d'un tank qui a labouré une des routes pavée par les britanniques. Il est tout de même étonnant de constater l'immense tâche qui a été accomplie ici en tout juste 20 ans, notamment grâce au soutien financier de la diaspora somalilandaise à travers le monde. Malgré l'absence de banque dans le pays en raison de l'absence de reconnaissance internationale, et donc d'assurances pour protéger les investissements, de plus en plus de petits immeubles se construisent ici, guidant la ville vers une nouvelle phase de développement. Cette vaste étendue d'habitations, vaste comme peut l'être une ville de plain-pied devant loger environ 1 million 200 000 habitants, est principalement ordonnée autour de deux axes routiers principaux, l'un traversant la ville depuis l'ouest vers le sud et reliant Djibouti, Boroma, Hargeisa et Garowe, l'autre partant est-nord-est et reliant Hargeisa à la ville portuaire de Berbera. On trouve d'ailleurs à la sortie de la ville de nombreux mini-bus et taxi à partager qui font plusieurs fois par semaine le trajet vers ces destinations. Cependant , il n'existe pas de réel plan urbain ; ce qui ne vous aide pas pour vous repérer quand vous n'êtes pas du coin. Un projet de loi a été voté il y a peu pour donner des noms aux principales rues et routes de la ville pour remédier à ce problème, notamment dans une perspective touristique. Au niveau de la circulation motorisée ce n'est guère mieux puisque ces deux axes sont en permanence surchargés puisque, tels des fleuves, ils récupèrent l'ensemble des flux des autres routes de la ville. Les véhicules en conduite à droite sont à peu près aussi nombreux que ceux ayant une conduite à gauche, ce qui ne doit pas faciliter les logiques de céder le passage. D'ailleurs c'est ici celui qui est le plus motivé qui passe, même quand un agent de police tente de réguler le trafic à coup de sifflet à peine audible parmi les coups de klaxon constants. Que l'on veuille doubler, tourner, prévenir de son arriver, avertir d'un danger ou faire se pousser une voiture, un passant ou une chèvre, le réflexe ici et de klaxonner, rien d'agressif. J'ai entendu dire qu'il y aurait un croisement régulé par des feux de circulation, je vous tiendrai au courant si je parviens à mettre la main dessus. Située sur un plateau à un peu plus de 1300 mètres d'altitude et à 150 kilomètres environ de la mer, le climat d'Hargeisa est supportable, même pour un nordique comme moi. En cette fin d'hiver il y fait une température moyenne de 28° à l'ombre dans la journée et de 15° la nuit. La pluie n'arrive pas avant la mi-mars, début d'une saison d'été de 6 mois où les températures tournent un peu au dessus de 30° à l'ombre la journée et autour de 20° la nuit et où il pleut 4 à 5 jours par mois en moyenne, pour un total annuel deux fois moins important qu'à Toulouse par exemple. Ensuite, c'est de nouveau une saison sèche d'hiver pour 6 mois. Niveau activités, le théâtre municipal semble ouvrir et fermer chroniquement d'après ce que l'on me dit tandis que le seul monument concrètement touristique soit le MiG abattu par les forces indépendantistes et exposé comme mémorial et c'est sans doute en dehors de la ville qu'il y a moyen de s'en mettre plein les mirettes. On me dit d'ailleurs qu'un peu plus au sud, c'est à dire pour l'instant là où se déroulent sans doute de petits accrochages entre les forces gouvernementales et les miliciens islamistes qui tenteraient d'éviter les troupes éthiopiennes, on peut trouver des zèbres et des lions. Avis aux copains toulousains en mention tourisme, il y aura sans doute quelque chose à faire dans le coin d'ici à quelques années. Au nord, la ville portuaire de Berbera qu'on me dit ressembler aux villes yéménites présente aussi un attrait avec ses plages sans pirates et ses bâtiments de l'époque coloniale. Il est également encore tout a fait temps d'entrer en contact avec l'UFR d'archéologie de l’université de Montpellier et le consulat danois concernant la mise en valeur des grottes préhistoriques de Laas Geel, qu'on surnomme déjà « le Lascaux africain ». (j'ai les contacts si vous êtes vraiment intéressés)

8 mars 2012

Mercredi 7 mars - Des images plutôt que des mots

Pas de message sur le blog aujourd'hui, la journée d'hier ayant été trop encombrée par le mémoire pour être intéressante à rapporter. A la place : un petit album photo pour celles et ceux qui sont avides d'images mais aussi pour les ami(e)s dans le graphisme et le dessin qui seraient toujours tentés par l'idée de mettre quelques bouts de ce voyage en BD!

L'occasion pour moi de souffler un peu et pour celles et ceux qui auraient un peu de retard sur la lecture de se remettre à jour!

 

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7 mars 2012

Mardi 6 mars - Premiers rendez-vous et plan b : mémoire, me voilà !

Alors soit je ne suis vraiment pas doué, ce qui est tout a fait pensable, soit je suis voué à manger tous les jours la même chose dans cette ville. J'ai essayé aujourd'hui une nouvelle gargote avec pour résultat des spaghetti, des légumes bouillis et un peu de viande hachée. Toujours aussi rassasiant, ce qui est le principal, mais de moins en moins surprenant. L'alternative aurait été un mélange de riz blanc et de pâtes... Bref, aujourd'hui j'obtiens les premières réponses à mes quelques mails envoyés aux Organisations Non-Gouvernementales locales et autres Organisations de la Société Civile présentes à Hargeisa. J'obtiens des rendez-vous dans les jours à venir avec le responsable d'un journal anglophone, le Somaliland Sun, ainsi qu'avec le directeur du Comprehensive Community-Based Rehabilitation in Somaliland (CCBRS), organisme qui, contrairement à la plupart des institutions civiles ici qui touchent absolument à tous les domaines de l'aide et du développement dans le but d'obtenir des financements, s'est concentré dans la réintégration des anciens soldats et plus particulièrement des traumatisés de guerre. Je suis d'autant plus ravi qu'il s'agit là d'une des ONG les plus réputées du pays, tant en terme d'engagement que de transparence. Je passe donc ma matinée à préparer une interview cohérente et solide tout en prévoyant de laisser suffisamment de place pour des ouvertures sur des problématiques que je n'aurai pas encore perçues. En bon français que je suis, je m'accorde une pause pour le goûter et décide d'aller acheter du pain que j'imagine déjà assez bien se marier avec la pâte à tartiner Prix gagnant qui trône sur ma table de chevet comme un remède d'urgence à toutes formes de crise. Je tente de formuler ma demande en somali, flop total. Je me contente de répéter le mot pain, re-flop. Dépité par mes piètres capacités linguistiques, je finis par montrer du doigt l'objet de mon désir que j'échange contre trois billets bleus, soit 1500 shillings (25 cents). Pas découragé, le boulanger me répète trois fois la même question au moment de me remettre mon bien. Soudain, réminiscence de mes premières courses en Angleterre et de ma première incompréhension notoire, je me dis qu'il me propose sans doute un sac plastique pour le transport...pendant une demie seconde je me dis que les sacs plastiques ici ça ne doit pas être aussi fréquent qu'à Tesco...et pourtant, hop, dans le mille. Mon pain est emballé, au figuré je le suis également : grosse victoire sur la barrière de la langue! Sur le chemin du retour, je rencontre deux jeunes d'environ 25 ans, somalilandais d'origine mais ayant quitté le pays très jeune, l'un pour l'Inde avec sa mère, l'autre pour la Grande-Bretagne. Le premier est revenu il y a maintenant 4 ans pour travailler au pays, le second n'est là que pour un mois en vacances dans sa famille. Comme les autres somalilandais, ils m'abordent avec une petite série de question servant à définir à qui ils ont affaire avant que l'on ne décide de partager un thé en terrasse d'une cafétéria. Le contraste entre leurs vies et leur perspective m'étonne. L'un a désormais la nationalité britannique, vit à Londres et a un travail ; l'autre ne peut obtenir la nationalité indienne qu'après 25 ans sur le territoire puisqu'il n'avait pas de passeport en arrivant avec sa mère, vit à Hargeisa et ne parvient pas à retrouver de travail après une première année comme traducteur dans une société d’exploitation minière chinoise. Sous cet angle, rien ne le distingue vraiment des autres somalilandais qui nous entourent. Pourtant, il me répète souvent de ne pas répondre aux gens qui m'interpellent, qu'il ne s'agit là que de gens sans avenir et pour la plupart illettrés, que lui n'a besoin que d'un petit pécule pour acheter un visa de travail en Éthiopie où personne ne lui demandera son clan d'origine. L'appartenance clanique est ici délivrée par le père mais, par pudeur, comme il ne m'en a jamais mentionné l'existence, je ne lui pose pas plus de questions. C'est donc finalement leur statut d'expatriés anglophones qui a réuni ces deux personnages, ce qui m'amène à penser à un bon sujet de recherche sur la réintégration des expatriés, selon que leur retour soit volontaire et bien préparé ou plus chaotique voir carrément forcé. Sauf que pour ce faire, il y aurait besoin d'un très très grand nombre de questionnaires et donc de personnes a identifier comme étant des expatriés de retour. Je garde l'idée sous le coude dans l'espoir d'accéder à des listes, soit auprès d'un ministère, soit auprès d'association locales dédiées à ce thème. Ah, pour conclure, ici on a perdu 4 degrés par rapport à hier et un petit vent s'est levé. Et bien croyez le ou non, j'ai presque eu froid en me baladant ! Si quelqu'un peut venir m'accueillir avec une combinaison de ski à l'aéroport de Paris pour mon retour...
6 mars 2012

Lundi 5 mars - Des couleurs et des odeurs

Ayant eu un sommeil un peu agité dans la nuit, je décide de m'offrir une grasse matinée ce matin et de ne commencer ma journée qu'à 9 heures, et ce quitte à louper le petit-déjeuner de l'hôtel. Et là, c'est toute mon image d'aventurier des temps modernes qui s'écroule. A 9 heures moins quelques minutes, le « room-service » frappe à ma porte pour m'apporter sur un plateau ma désormais traditionnelle omelette sucrée, ma baguette et mon thermos de thé. J’engloutis le tout en regardant les nouvelles du monde sur la BBC sur un fond de musique choisie avec soin sur Youtube, profitant de mon wi-fi illimité et gratuit. On est d'accord, ce n'est pas le meilleur moyen d'être en phase avec son terrain d'études.

Je saute donc dans mes sandales et, après seulement quelques pas, l'immersion est à nouveau complète. A nouveau partout les détritus qui recouvrent le sol, à nouveau les effluves du gazole a moitié consommé par les moteurs des bus en fin de vie, a nouveau cette odeur indéfinissable et qui commence à me coller à la peau, mélange d'eau stagnante, de détritus en décomposition sous un soleil de plomb et de je ne sais quoi d'autre. Cela me fait penser que je n'ai pas encore fait de topo sur le service public à Hargeisa, le voilà donc : inexistant. L'Etat du Somaliland, dont le budget est relativement limité en raison de l'absence d'aides internationales directes, concentre ses efforts sur les activités souveraines que sont l'armée, la police et la justice. Le choix demeure judicieux d'ailleurs, pour au moins deux raisons évidentes. La première c'est qu'avec un voisin peuplé d'islmistes armés, il faut mieux être sur de pouvoir contrôler ses frontières. La seconde c'est qu'avec un taux de chômage très élevés et un nombre d'armes en libre-circulation au moins aussi important, il vaut mieux avoir les anciens combattants de la libération dans son armée plutôt que sur des pick-ups dans sa campagne. Depuis quelques années, l'Etat reprend progressivement en main les activités politiques et administratives, notamment ici dans la capitale. L'éducation et la santé sont des secteurs en développement artificiel grâce aux perfusions des Nations-Unies et de l'Union européenne. Pour tout le reste, c'est la loi de la privatisation et de la dérégulation économique qui prévaut. De fait, puisque le secteur est porteur, il existe un très bon réseau de téléphonie mobile dans tout le pays, un réseau 3G à Hargeisa et bientôt la fibre optique dans la plupart des grandes villes du pays. En revanche, puisque la majeure partie de la population ne pourrait payer pour ces services, il n'y a pas de système de ramassage des ordures, pas de réseau électrique cohérent et pas non plus de système d'adduction d'eau généralisé. Je n'ai pas osé rentrer dans les toilettes publiques, on contre 400 shillings (ne me demandez pas comment on peut payer 400 shilling dans un pays où la plus petite coupure est un billet de 500) on vous offre la possibilité de vous soulager, mais j'imagine qu'il ne doit pas y avoir de tout à l'égout non plus. Pour l'électricité, des groupements de maisons et de magasins se raccordent à un générateur et, si j'ai bien compris, en partagent les frais de fonctionnement. Pour l'eau, on peut croiser assez régulièrement des citernes en plastique tractées par des ânes qui viennent desservir les quartiers, l'équivalent local des petits camions-citernes djiboutiens. Pour les détritus, j'imagine qu'il doit exister un fonctionnement informel mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le découvrir.

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Ayant déjà pas mal repéré le « centre-ville », je me décide à m'engouffrer dans le marché qui s'étale juste devant moi. Si mon compte est bon, nous en sommes au conseil n°5 : n'entrez jamais seul dans un marché africain inconnu sans au mois 2 litres d'eau, des barres énergétiques, une boussole et, si jamais l'orientation n'est vraiment pas votre fort, prenez également une lampe frontale et votre mal en patience. Les étals assez espacés sur les premiers mètres se resserrent aussi brusquement qu'ils abandonnent toute forme d'organisation dans l'espace. La première vague est composée d'une succession de vendeurs qui proposent tous la même chose, à l'image des boutiques du centre-ville, nombreuses et identiques. Les maraîchers proposent des pommes de terre, des oignons, de petites tomates et parfois des carottes et un peu d'ail. Je ne sais pas encore bien pourquoi, les bananes comme les salades font stands à part. Les bouchers alignent quelques cuisses de mouton sur des cartons qu'ils exposent au passants, au soleil et aux mouches. Un peu plus au cœur on trouve quelques boulangers qui proposent de petits pains ronds, façon pain à hamburgers, des demi-ficelles très cuites et des baguettes étonnament industrielle à la mie très blanche. La seconde vague, plus à l'ouest, est composée des vendeurs de parfums, lunettes de soleil, montres et autres vêtements de marque contrefait. Le fait qu'on ne me prête pas plus d'attention ici qu'au milieu des légumes me conforte dans l'idée qu'il ne s'agit pas de stands pour touristes, puisque de toute façon il ne semble pas y en avoir, mais plutôt de boutiques destinés aux jeunes qui voudraient se faire un look à l'occidentale. Le cœur du marché enfin est divisé entre les marchands d'épices, juchés sur leurs nombreux sacs, et les marchands de vêtements traditionnels, enfin, de tous les jours plutôt. Les voiles, les grands châles colorés et les boubous pour les femmes et les jupes traditionnelles pour les hommes s'étalent ainsi en obligeant les passants à se frayer un chemin là où ils le peuvent. J’essaie de viser à peu près tout droit pour traverser entièrement le marché et finis effectivement par retomber sur des étals de légumes et de viande avant de me sortir définitivement du marché.

Je tombe alors directement sur une décharge à ciel ouvert qui s'est trouvée une place dans le lit asséché de la rivière. Une route traverse les détritus, je continue donc mon chemin jusqu'à atteindre l'autre côté de la rive. Sur les hauteurs on trouve un puits qui sert aussi bien à remplir les citernes mobiles qu'à la production de parpaings, qui se fait avec une machine qui s'actionne manuellement à un rythme que j'estime à 6 ou 7 parpaings à la minute. Le regard des gens change à mesure que je m'éloigne de la ville et beaucoup me demandent si je me suis perdu. Je me renseigne simplement sur la sécurité du coin, qu'on me dit aussi bonne qu'en centre-ville, et répond simplement que je me balade là où mes pieds me mènent. J'atterris au final dans un quartier résidentiel assez huppé où de grandes maisons à un voir 2 étages et garage se partagent de grands murs d'enceinte de plus de 2 mètres 50 surmontés de grands éclats de verre et de miroirs. Les murs arborent des teintes écrues et sont colorés de symboles géométriques simples bleu, vert et bordeaux. Sur les toits on trouve de grandes citernes d'eau et une ou plusieurs paraboles. Certaines de ces demeures semblent être gardées et je me retiens donc de prendre des photos pour le moment.

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De retour à l'hôtel, je papote avec le réceptionniste et commence à lui poser quelques une des questions que je prépare pour mes entretiens dans le cadre de la recherche pour le mémoire afin de les « essayer ». Premier constat : les somalilandais aiment parler. Second constat : les somalilandais aiment tous raconter l'histoire de la conquête de l'indépendance, et l'écoute du récit du passé semble la condition préalable à toute question sur le présent. Troisième constat : toute question sur la Somalie (l'ancienne Somalie italienne par distinction du Somaliland) se solde par le constat péremptoire de la profonde « mauvaise mentalité » de ses habitants. Ah, dernier constat, le terme de société civile ne semble rien représenter pour lui, a éviter donc. Au delà de ça, j'apprends que toute la population du Somaliland est mobilisée pour dénoncer aux autorités toute personne ayant un faciès ou un accent de la « Somalie du sud », cette dernière se faisant alors immédiatement arrêté pour être interrogé et éventuellement incarcérée si on a des doutes quant à ses bonnes intentions. Mon « cobaye » me raconte qu'il a été témoin de l'attentat perpétré par les islamistes contre le bureau des Nations-Unis en 2008 alors qu'il travaillait à cette époque auprès d'eux pour l'organisation des élections. Alors que je lui parle de la liberté d'expression, il me raconte comment, une fois le résultat des dernières élections présidentiels ayant validé la victoire de son favori et à l'époque chef de l'opposition, il est allé avec d'autres militants « gueuler » au perdant entouré de ses fidèles de bien vouloir céder la place sans avoir été nullement inquiété. Bien qu'ayant beaucoup parlé de choses que je connaissais déjà, ce premier échange guidé me fait beaucoup de bien et me rassure sur les possibilités à venir ici.

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5 mars 2012

Dimanche 4 mars - Un petit tour au supermarché, ou consumérisme quand tu nous tiens

Dimanche, le jour du seigneur, un tout petit article pour une journée passée à travailler sur le mémoire, donc assez peu palpitante pour le commun des mortels. Même premier réveil à 5h, même second réveil à 8h, même petit déjeuner que la veille. Au moins, je n'aurais pas beaucoup de mal à m'imposer un rythme de travail régulier ici. Le réceptionniste, étudiant en 2ème année de relations internationales à l'Université d'Hargeisa, s'installe à ma table pour un brin de conversation. On discute un peu de ma recherche, de comment les études fonctionnent en France et de pourquoi la plupart de mes collègues étudiants en études africaines se retrouvent à faire leur terrain dans des anciennes colonies françaises. Il me raconte comment, par le biais de ses études, il espère pouvoir obtenir la possibilité d'obtenir un visa pour un pays européen pour aller y étudier et y travailler, au moins un certain temps. Il me propose d'ailleurs de me faire visiter l'université d'ici peu. On converse enfin pendant un certain temps sur l'union européenne, pourquoi et comment des populations sortant d'une guerre sont parvenue à créer une institutions garantissant la paix et, en théorie, la prospérité et la liberté. Il me confie qu'il aimerait assez étudier les ressorts de la construction européenne pour examiner certains des arrangements qui ont été trouvés et les comparer avec ce qui s'est fait ou pourrait se faire au Somaliland.

Je me surprends à retrouver un anglais à peu près potable après seulement deux jours dans le pays et, même si j'ai encore un peu de mal avec l'accent local, je commence vraiment à prendre beaucoup de plaisir à discuter avec les Somalilandais, parfois pour quelques mots, parfois pour quelques dizaines de minutes. Tous les gens qui sont partis un peu longtemps à l'étranger connaissent ce sentiment étrange de ne plus vraiment savoir dans quelle langue ils conversent. Même certains souvenirs de la France se retrouvent instantanément traduis en anglais. Perturbant mais motivant. Je compte essayer d'apprendre quelques mots en somali, ne serait-ce que pour me démerder au quotidien ; même si au final plus de 80% de la population, qui est assez jeune au demeurant, parle suffisamment anglais pour pouvoir répondre à toutes les questions basiques et qu'une petite moitié est tout à fait capable de tenir une conversation intéressante. Ce qui doit faire plus qu'en France je pense !

Après une petite matinée à engranger les contacts potentiels pour ma recherche, je me décide à aller faire un tour dans un supermarché repéré la veille pour constater un peu les prix et voir si je peux améliorer l'ordinaire. Je m'offre 4 samoussas sur le chemin puisqu'il est bien connu qu'il ne faut pas arriver le ventre vide dans un supermarché. Moins qu'à Djibouti mais ici aussi, les samoussas aux légumes sont préparés en grandes quantités par les femmes qui les vendent ensuite à l'unité dans la rue, de grand wok en étains remplis à raz-bord s'alignant devant elles. Je m'en tire pour 4000 shillings, ce qui revient à 15 cents l'unité. Pour être allé plusieurs fois aux mêmes endroits et avoir été servis par des personnes différentes, il semblerait que les gens ici n'aient pas adopté le réflexe de faire des "prix pour touristes" différents des prix habituels, en tout cas pour les biens de consommation courante. 

Arrivé dans le supermarché, dont la présence est en soit assez déroutante vu l'enfilade de tous petits magasins et de petites échoppes mobiles que l'on peut trouver partout où l'on porte le regard, j'entre dans un magasin bien rempli, carrelé et éclairé aux néons. Pâte à tartiner Nutella ou Prix gagnant, Coco pops, thon en boite, gel douche Dove et évidemment toute la gamme Coca-Cola. Mais aussi code-barres, scanner, caissière, ticket de caisse et sac plastique. Si tout cela est extrêmement banal en Occident, il y a de quoi s'étonner en Somalie. Je le suis. Étant donné l'absence absolue de locaux dans le magasin, ou même d'un quelconque autre client, je me dis que le gars qui a investi dans le supermarché risque d'attendre encore un petit bout de temps avant de rentabiliser, surtout s'il compte sur les touristes...

4 mars 2012

Samedi 3 mars - Une ville sécurisée

Premier réveil à 5h, fausse alerte pour l'athée que je suis, ce n'est que le muezzin qui vient d'allumer sa sono. Second réveil à 8h, cette fois si il s'agit bien de la sonnerie de mon téléphone. Je monte tranquillement sur le toit-terrasse profiter du petit déjeuner dont j'ai réussi à négocier la gratuité la veille en me disant qu'il pourra peut être participer à calmer les gargouillis que j'ai entre le troisième et le quatrième repli du gros intestin depuis que je suis sorti du lit. Au menu, une grande omelette cuite avec beaucoup de gras et de sucre accompagnée d'une demi-baguette, sans doute une cousine de celles que j'ai vu la veille transiter dans une brouette après avoir été entreposée sur des chaises en plastique dans la rue. Pour faire couler le tout, un grand thermos de thé préparé à l'indienne, très infusé avec du lait, du sucre et des épices. La vue depuis la terrasse me rappelle un peu des photos que j'ai pu voir du Caire; la ville s'est étendue dans toutes les directions avec principalement des bâtiments sans étage et sans réel plan apparent. Seules les mosquées se distinguent nettement de ce chaos urbain et acoustique.

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Je décide de partir explorer Hargeisa en suivant la route principale en direction de Boorama. J'emprunte donc la route de Berbera en sens inverse avec pour premier objectif d'atteindre le Khayriyada Memorial Square, le symbole de la résistance du Somali National Movement contre la répression du gouvernement de Siyaad Barre en 1988 dont je parlais déjà hier et dont voici une photo. Je passe ensuite devant la mairie, le bureau du représentant de la région, une série de ministères, la banque centrale où les personnes voulant entrer sont d'abord passés au détecteur de métaux et devant l'hôpital de la ville dont les différents secteurs sont subventionnés par différents bailleurs de fonds internationaux. Je repère également le centre du Community-Based Rehabilitation in Somaliland (CBRS) et de l'association des vétérans de guerre où je vais tenter de me rendre dans les prochains jours. Les deux chambres du parlement, the House of Representatives ou Golaha Wakiilada qui est l'équivalent de notre assemblée nationale et the House of Elders ou Golaha Guurtida qui est l'équivalent du Sénat regroupant les personnages les plus renommés de chaque clan, sont en pleine réhabilitation et se font désormais face sous la protection de nombreux militaires. Je trouve d'ailleurs que leur nombre est assez impressionnant en centre ville, probablement parce que tous les ministères sont situés dans le même quartier mais je dois avouer que de croiser une kalachnikov tous les 50 mètres me surprend un peu. Il faut noter que seulement un militaire sur trois environ est équipé d'une arme à feu, qu'un autre tiers environ dispose d'une canne ou d'une matraque et que le dernier tiers n'est militaire que par son habit. Il y a également beaucoup de femmes dans l'armée du Somaliland même si aujourd'hui, contrairement à leurs collègues masculins qui patrouillent en permanence, beaucoup d'entre elles se contentaient de rester à l'ombre par petits groupes de 4 ou 5. Elles sont reconnaissables à leur grand voile vert foncé qui complète le reste de leur tenue kaki.

Sur le chemin inverse, je remarque tout à coup que les voitures ne sont plus autorisées à circuler. Devant mon air hésitant les militaires, dont très peu parlent anglais, me font de grands signes pour m'inviter à passer. On m'explique rapidement que la route est bloquée ainsi tous les jours de la semaine pour permettre au président Ahmed Mohamed Mahamoud « Silanyo » de passer sans encombre du palais présidentiel à sa résidence. Je ralentis donc le pas pour attendre le cortège et en profite pour commencer à prendre quelques photos en plan large, à chaque fois après avoir obtenu l'assentiment d'un militaire ou d'un policier qui me répond toujours positivement en m'invitant à faire ici comme si j'étais chez moi. Le nombre de militaires se fait de plus en plus important, sans pour autant devenir oppressant ni pour moi ni pour les gens qui continuent de déambuler sur les bas-côtés et ce jusqu'à ce que le 4X4 de Silanyo passe enfin dans la rue, simplement précédé d'une voiture remplie de gardes présidentiels. Il salue les passants par la vitre du véhicules et quelques uns lui répondent, sans ferveur particulière semble-t-il.

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Peu rassuré par les conditions sanitaires du restaurant de la veille, je décide de tenter une autre gargote située à quelques pas de mon hôtel. L'accueil y est plus franc et on sort le grand jeu pour m'accueillir avec une toile cirée sur la table et un véritable verre alors que les clients habituels sont cantonnés aux gobelets en étain. En quelques secondes seulement on m'apporte le « plat du jour », des spaghetti accompagnés d'oignons et de viande hachée, un mélange de mouton et de chameau. Le tenancier tiens même à retrouver des couverts mais, par politesse et puisque les couverts seront moins propres que mes mains passées au gel antibactérien, je revendique la possibilité de manger avec les mains comme les autres clients. Cerise sur le gâteau, on m'apporte des serviettes en papier alors que les somalilandais s'essuient les mains et le visage sur de petits morceaux de journaux. Je m'essaie à un wad mahadsantay (merci) qui ne passe pas trop mal semble-t-il. Le repas me revient à 6000 shillings somalilandais, soit environ 1 dollar.

De retour à l'hôtel, j'entreprends de balancer une série de mails à tous les journaux en anglais de la ville afin de pouvoir accéder à leurs archives et de rencontrer leurs journalistes pour les interviewer. Je ne suis pas encore parvenu à me fixer sur un sujet de recherche suffisamment précis pour pouvoir l'investir, j'espère que ces rencontres pourront m'aider. Je me dis que finalement, 32 jours, ça sera court pour une recherche dans un pays comme le Somaliland.  

 

3 mars 2012

Vendredi 2 mars - Premier pas dans un pays qui n'existe pas

Levé en trombe à 4h15. On y est. Le début de mon terrain, le véritable début de mon mémoire est pour dans quelques heures. Le taxi que j'avais réservé la veille dans la rue est bien à l'heure et se permet même de me sermonner pour mes 4 minutes de retard montre en main. Presque sans surprise maintenant tant je sais que Djibouti et le Somaliland sont liés, j'apprends que Saïd, le chauffeur, a des origines somalilandaises. Il fait 20 degrés et l'air frais est particulièrement agréable pour se réveiller tandis que l'on roule doucement fenêtres ouvertes vers l'aéroport. Au poste de garde, on m'informe que le check-in ne se fera qu'à partir de 6h ; je suis tellement heureux que l'avion soit bien là qu'une heure d'attente dans le hall ne me dérange pas. A 5h10 retentit depuis la ville le premier appel du muezzin. Sa voix vient résonner jusqu'ici puis finit par être couverte par le coassement des grands corbeaux de Djibouti que je ne parviens par à distinguer dans la nuit. Pour la première fois depuis un bon bout de temps je suis tout seul dans un lieu public. Enfin, pour être plus exact, je ne partage l'aéroport qu'avec une bande de matous bigarrés se faufilant un peu partout sans que je parvienne à en estimer le nombre. Je remarque sur le tarmac un airbus et un plus petit avion, type learjet, tous deux estampillés "République française". Je suis touché qu'on ait dépêché deux avions rien que pour moi.^^

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Vers 6h débarquent deux américains, un jeune père de famille de l'Ohio et son papa (qui a un faut air de Dominique Raymond - private joke, désolé) en provenance de Tanzanie. On fait les présentations d'usage et j'apprends ainsi qu'ils vont passer quelques jours à Hargeisa pour y retrouver une connaissance, un médecin américain officiant à l’hôpital d'Edna Adan, une ancienne première dame du pays et ancienne ministre que j'aurais peut être le plaisir de rencontrer et qui emploie maintenant tout son pouvoir dans la protection des mères et des enfants. Son hôpital est sans conteste le meilleur de la région. Après m'avoir offert un croissant Nathan, le jeune papa, me demande assez abruptement si j'appartiens à une église. N'étant pas sur de la question, je lui répond prudemment que je suis athée, ce à quoi il réplique par un discours sur sa foi en Jésus, le second Adam. J'écoute avec attention l'histoire du pêché originel et comment celui que je perçois comme le fils d'un charpentier de Judée s'est offert de nous sauver en mourant sur la croix. On échange ensuite, moi sur l'importance de l'ouverture d'esprit, des bonnes actions au quotidien quel que soit le moteur qui nous pousse à les réaliser et sur la faillibilité de l'homme ; lui sur le salut, les raisons de l'incompréhension du message de Jésus par le peuple juif et sur le fait que le Saint-Esprit ait fait de lui un messager pour me parler de la foi. Quelques extraits de saintes écritures stockées sur l'Iphone et une bonne quarantaine de minutes de discussion plus tard, le bus de l'aéroport vient pour nous emmener jusqu'au vieux coucou russe que l'on m'a parfois décrit comme une sorte de « quitte ou double volant ». Le fait d'être accueilli en première classe avec mes collègues du jour par un banquier somalilandais avec qui nous avons échangé quelques mots un peu plus tôt ne me rassure guère. La publicité sur la carlingue me rappelle que « Jubba Airways, [is] the happy way to fly ». Je secoue un peu frénétiquement la clochette que j'ai autour du cou pour finalement vivre le décollage et l'atterrissage le plus confortable de toute ma vie. Comme quoi, voyager dans des vieux avions russes en Afrique vers un pays qui n'existe pas ce n'est pas si physique ! (Je précise que la photo de l'avion n'est pas de moi mais qu'il s'agit bien du même modèle, un Il-18 pour les amateurs de la chose)

IL-18

Mais je me rends compte que l'on m'a menti, en tout cas par omission, puisque le plus désagréable n'est pas lié au vol mais à l'entrée dans le pays. Outre le fait de supporter l'humeur massacrante du personnel du ministère de l'aviation civile, il y a également l'obligation de changer une partie de son argent à un taux absolument révoltant au guichet officiel en arrivant dans le pays. J'avais lu sur internet qu'il me fallait prévoir 30 USD, c'est au final 50 USD que je suis obligé de changer en shilling somalilandais pour à peu près la moitié du cours de la rue. Du coup je me décide à abuser de la charité chrétienne en demandant s'il est possible à Robert, le docteur américain, de me déposer à mon hôtel avec son gros 4X4. Durant le court trajet, court en distance mais long en durée tant la route poussiéreuse et cahoteuse est emcombrée, on parle un peu de la guerre civile et on conclut que les mercenaires du Mozambique qui ont bombardé les populations civiles pour de l'argent ne l'emporteront certainement pas au paradis... Soit !

L'hôtel. Rien a voir avec la toute petite chambre au ventilateur grinçant de Djibouti. Par comparaison j'ai l'impression d'être dans une suite avec un lit d'une place ½, la télé, un mini-frigo, une salle de bain privée et le wifi gratuit. Malgré la chaleur qu'il fait à l'extérieur, bien plus franche et directe qu'à Djibouti, la chambre est même plutôt fraîche.

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Étonnamment, alors que ma seule envie en arrivant en Djibouti était de sortir découvrir la ville, je ressens comme une petite appréhension à aller me promener dans Hargeisa sans que je parvienne à expliquer pourquoi. Je finis par me lancer en me rappelant que, comme à la piscine, plus l'on reste sur le plot et plus il est dur de plonger. Comme il n'y a pas vraiment de rues de ce côté-ci de la ville, et donc encore moins de noms de rues, je tente de prendre quelques repères pour ne pas me perdre. Je décide d'aller manger un morceau dans une des gargotes du coin et, à ma grande surprise, je me retrouve à manger pour 1 dollar de riz fourni par les Nations-Unies. La nourriture est préparée dans de grande gamelles noircies par le feu particulièrement fort produit par les foyers alimentés au charbon. C'est la que la Malarone entre en jeu! Je note que, stratégiquement, les nuées de mouches préfèrent attendre dans la salle du restaurant pour mieux se lancer à l'assaut des assiettes des clients. Je suis chanceux, le répulsif anti-moustique éloigne aussi (un peu) les mouches de mon repas.

Je fais ensuite quelques rues dans la direction opposée pour ne finalement voir qu'un enchaînement de pharmacies, de supermarchés et de banques spécialisées dans le transfert d'argent depuis ou vers l'étranger. Hargeisa n'est pas une belle ville, ayant été presque entièrement détruite en 1988 par les bombardements aériens du gouvernement de Mogadiscio qui entendait ainsi mettre un terme au mouvement de protestation somalilandais. Comme attraction touristique ? Mis à part un avion de chasse somalien abattu par les militants indépendantistes et érigé en monument dans le centre-ville...

Dans la rue, tout le monde ou presque me salut en anglais et je fais l'effort de m'arrêter dès que quelqu'un me pose une question un peu plus précise que « How are you ? ». Je me dis que je suis ici pour un mois et que j'ai tout à gagner à être un minimum « connu » , déjà pour ne pas passer tout un mois à me faire questionner tout les 20 mètres mais aussi, éventuellement, pour discuter un peu de mon sujet de recherche. En plus, stratégiquement, j'opère ma visite à l'heure du khat. C'est certes l'heure la plus chaude mais c'est aussi celle qui permet d'avoir en face de soit des gens tout a fait détendus et disponibles. Après une petite heure à déambuler ainsi, sans prendre de photos ne connaissant pas encore la politique en la matière ici, je retrouve le frais de ma chambre d'hôtel où je décide de m'offrir une installation dans les règles : classement des papiers, lessive et regardage de Mafia blues en anglais sous-titré arabe. Journée de transition donc, un peu le blues de vous les gens, avec cette sensation bizarre d'être là "assigné à résidence" pour un mois, quoi qu'il arrive, que ce soit ne soit pas assez ou beaucoup trop long pour ce que j'ai a y faire...

Mais pas de soucis. Demain sera bien®

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